Le texte ci dessous est la transcription d'un manuscrit daté de 1935, dans lequel Marie Kablé (née Villa), la grand-mère de Pierre Quidet, exprime pour ses quatre petit-fils, orphelins de mère, ce qu'elle considère comme essentiel pour construire leurs vies de futurs époux et pères de famille.
Ces conseils peuvent paraîre désuets aujourd'hui, et pourtant ils sont vrais et pleins de bon sens dans le fond de ce qu'ils signifient. Lisons les avec émotion, c'est vraiment l'expression des sentiments qu'une grand-mère de cette époque, née au 19ème siècle, en 1858. Elle avait alors 76 ans, et papa et ses frères avaient entre 23 ans (Jean) et 15 ans (François).
Pour que vous compreniez mieux son état d'esprit à cette époque, rappelez vous les épreuves qu'elle avait du surmonter au long de sa vie:
elle perdit son fils Charles, mort au combat à 30 ans en 1915, son mari Charles Kablé en 1924 âgé de 71 ans; enfin sa fille Jeanne, la mère de papa, était partie en 1930 à 47 ans. Elle restait donc seule avec un gendre sympathique mais peu présent, et ses quatre petit-fils qu'elle adorait, et parmi eux en particulier son "Pierrot chéri"...

1935

“Ah! mes chéris plus je vais vers la tombe plus je pense à vous dans l'avenir.
“Que sera-t'il pour vous?...
“Quelle que soit la voie que vous suivrez, je demande à celui qui fait nos destinées de mettre dans la vôtre un peu de bonheur, c'est si triste au soir de la vie de n'avoir pas un coin bleu où reposer ses pensées. Une vie n'est jamais complètement heureuse, le bonheur complet n'est pas de ce monde; mais lorsque l'on a un foyer où tout s'harmonise, où tout se partage, joies et peines, où l'on vit l'un par l'autre et pour ses enfants, la part de ceux-là est belle, et ils doivent en remercier le ciel.
“Pour atteindre ce but, mes chers petits, il faut prier d'abord pour que Dieu vous guide et vous protège; il faut faire son devoir toujours et en toutes circonstances, chacun a le sien en ce monde; enfin il faut bien choisir celle qui sera la mère de vos enfants.
“C'est elle, c'est la femme, qui fait véritablement le foyer si elle sait comprendre ses devoirs et la beauté de son rôle.
“Aimer son mari, le rendre heureux; aimer ses enfants, les élever avec intelligence et bonté , former soi-même leurs âmes et leurs natures, en faire des hommes de valeur, et des femmes vraiment femmes, quelle satisfaction pour une mère d'atteindre ce but, et combien il est méritoire.
“Le mari travaille pour sa famille; mais c'est la mère qui forme ses enfants; soins matériels lorsqu'ils sont jeunes, formation morale à mesure qu'ils grandissent; voilà le vrai rôle de la femme dans la famille; trop de femmes le négligent ou s'en écartent actuellement, de là les mauvaises générations.
“C'est une compagne de ce genre que je vous souhaite, mes enfants bien aimés, vous aurez de la peine à la trouver car dans votre génération, elles n'abondent pas; je veux cependant espérer que vous tomberez sur les heureuses exceptions.
“De votre côté, il ne faudra jamais oublier qu'à cette compagne d'élection vous devrez l'amour vrai et fidèle, votre protection dans la vie,votre soutien dans l'épreuve, votre aide matérielle et morale pour élever vos enfants.
“Pour bien remplir son rôle d'épouse et de mère, une femme a besoin d'aimer et d'être aimée; cette affection est sa forcedans le devoir et dans l'épreuve.
“Mes aînés
[elle s'adresse aux deux premiers frères, Jean et Pierre] me comprendront; il faudra qu'ils préparent la voie aux plus jeunes, qu'ils les aident de leurs conseils et de leur expérience, et qu'ils fassent pour eux ce que j'aurais voulu faire si j'avais été plus jeune.
“Souvenez vous aussi qu'il n'y a pas de meilleure leçon que l'exemple; la logique de l'enfant est rigoureuse, agir sur eux par l'exemple est le point primordial.
“Suivez mes conseils, mes enfants, et quoique vous apporte la vie, vous n'aurez pas à le regretter.
“On peut avoir à souffrir en ce monde, mais le quitter avec l'impresion d'une conscience nette et du devoir accompli est tout de même un réconfort. S'il est vrai que les prières des morts sont profitables à ceux que l'on a aimés ici-bas, les miennes vous suivront toujours.
"Ne m'oubliez pas.

Grand' mère

jm
Marie Kablé, née Villa, vers 1888, à Constantine (Algérie) après la naissance de ses deux enfants.

mv1939La voici à la fin de sa vie, sans doute en 1939...

Elle décéda le 6 mars 1940 à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, où elle est enterrée. J'avais moins de trois mois lors de son décès...