La disparition de Paul KABLÉ : Un drame familial.
Mai 1915 : Un triste événement marqua notre famille, comme bien d’autres, durant ces années de guerre.
Paul KABLÉ, le frère cadet de Jeanne notre grand-mère, et né comme elle à Constantine, était affligé depuis l’enfance d’une forte myopie qui ne le gênait pas trop dans la vie courante, mais qui interdit sa mobilisation en 1914. Il fut donc réformé pour raison médicale à son grand désespoir, car, sensibilisé par son père et son grand-père à la perte de l’Alsace en 1870, il souhaitait vivement participer à la reconquête des territoires perdus, berceau de sa famille paternelle (la famille KABLÉ était originaire de Brumath).
Finalement il décida de s’engager comme volontaire dans les services auxiliaires de l’infanterie et fut affecté comme caporal infirmier au 149e régiment d’infanterie. Né en 1885, il avait donc 29 ans.
En mai 1915 son unité fut envoyée dans la région d’Arras, où une grande bataille se déroulait sur la autour de Notre-Dame-de-Lorette pour refouler les troupes allemandes. Cette colline dominant l’Artois, (165m.) à quinze kilomètres d’Arras, fut un des champs de bataille les plus disputés entre octobre 1914 et septembre 1915.
L’organisation allemande est formidable. De l’éperon des Arabes à la route de Souchez à Aix-Noulette, qui court au bas des pentes nord-est de la colline, s’échelonnent cinq lignes de tranchées profondément creusées, renforcées six mois durant de sacs de terre et de sacs de ciment, couvertes par des réseaux doubles ou triples de fils de fer et de chevaux de frise. De cent mètres en cent mètres des barricades forment de puissants flanquements garnis de mitrailleuses. Plusieurs fortins et des ouvrages avancés servent de points d’appui aux défenses des tranchées. L’un d’eux, au nord-est de la chapelle, interdit l’accès de l’extrémité du plateau; il comprend des fossés, des grilles, des casemates et des abris de dix mètres ou plus de profondeur.
Une division d’élite allemande, composée en majeure partie de Badois, a ordre de garder, coûte que coûte, Notre-Dame-de-Lorette, tandis qu’en arrière est dissimulée, dans l’énorme agglomération d’Angres et de Liévin une puissante artillerie, balayant d’un feu continu tout le flanc nord de la colline et le plateau lui-même.
Les préparatifs de l’offensive française sur la crête de Vimy et l’éperon de Notre-Dame-de-Lorette commencent le 3 mai, avec le déclenchement du bombardement méthodique des lignes allemandes, le 3 mai. Il se prolonge pendant six jours et six nuits.
À 10h00 du matin, le 9 mai, le 33e corps d’armée, commandé par le général Pétain, attaque sur un front large de 6 km. En quelques heures, les assaillants parviennent à submerger le système de tranchées allemand, progressant de plus de 3 km vers la crête de Vimy. Mais les réserves, disposées trop loin du front, sont incapables de rejoindre les lignes suffisamment vite pour exploiter cette spectaculaire percée, alors que l’artillerie française est désormais incapable de protéger les unités les plus avancées. Les Allemands se ressaisissent et contre-attaquent.
Les combats se prolongent pendant une semaine, avec des affrontements sauvages sur les hauteurs de Notre-Dame-de-Lorette. Au final, le résultat de l’offensive française est limité : les villages de Carency et d’Ablain-Saint-Nazaire ont été pris, mais la crête de Vimy, et donc le contrôle de la plaine minière, restent dans les mains allemandes.
Le coût humain de cette grande offensive, sans résultat stratégique majeur, fut tragique pour l’armée française : 102 000 pertes, soit le double de celles subies par les Allemands lors de l’ensemble des attaques françaises et britanniques entre Arras et Festubert.
Le 15 juin, alors que le plus gros des combats a cessé, les lignes se front sont stabilisées.
Des patrouilles partent des lignes françaises comme chaque jour, afin de reconnaître les positions ennemies. Bien qu’avançant en se dissimulant le plus possible, il arrive que l’une ou l’autre de ces patrouilles soit repérée par l’ennemi, qui ouvre alors le feu à la mitrailleuse et avec des tirs de grenades.
L’une de ces patrouilles est ainsi touchée non loin de l’endroit ou Paul KABLÉ est posté dans un poste de secours pour les blessés. Il entend les cris de ses camarades grièvement blessés qui ne peuvent regagner leurs positions.
Il propose à l’officier responsable du secteur de former une patrouille pour aller les chercher, et s’élance alors avec deux camarades pour essayer de sauver ces soldats blessés qui appellent toujours. Ils trouvent les blessés, les chargent sur leurs épaules et rebroussent chemin.
Hélas, des tirs allemands les prennent pour cible et ils sont tous abattus entre les positions dans une zone telle que celle que l’on voit sur la photo (allemande) ci-dessus. Le terrain, sans cesse battu par des tirs d’artillerie, était tellement bouleversé qu’on ne put jamais retrouver leurs corps…
Le caporal Paul KABLÉ fut cité à l’ordre de l’armée pour sa bravoure. La citation parut dans le journal l’Illustration (1915-2), dont est extrait le dessin ci-dessus, représentant la mort de brancardiers dans l’Artois en 1915.
Marie KABLÉ la mère de Paul et de Jeanne, ne se remit pas vraiment de cette perte…
Paul reçut la Croix de Guerre à titre posthume.
Croix de Guerre 1914-1918 avec une citation.
Paul était le parrain de mon père Pierre, qui évoqua fréquemment ce événement devant ses enfants. Il avait été très marqué par ce drame de la mort de son parrain, qu’on lui raconta souvent quand il fut plus grand (il avait 2 ans lors du décès de celui-ci).
L’auteur de ces lignes peut témoigner que les marques en restèrent pour toujours gravées dans l’esprit de son père.
Notre grand-père Georges Quidet parlait également peu de ces années dont le souvenir restait pénible. Il disait surtout qu’il en était revenu atteint d’une surdité importante due à la proximité des batteries de canons. Cette surdité, accompagnée d’acouphènes importants occasionna chez lui l’impossibilité de poursuivre ses activités de musique de chambre au violoncelle, qu’il pratiquait beaucoup avant la grande guerre.
Pendant cette guerre, Georges Quidet eut un troisième fils, Jacques, né le 30 décembre 1915. Espérons qu’une permission accordée à cette occasion lui permit de faire connaissance avec ce nouvel enfant, que l’on peut voir sur la photo ci-contre. Jeanne son épouse porte encore le deuil de son frère Paul décédé depuis moins d’un an…
Enfin c’est en 1921, bien après la guerre, que naquit le dernier des quatre frères Quidet, François, qui vit le jour le 23 mars de cette année là.
Leur mère Jeanne mourut elle-même en 1930. Elevés dans le souvenir de ces deuil tragiques par leur grand-mère Marie KABLÉ (née VILLA), ils nous parlèrent toujours avec émotion de ces événements qui les avaient profondément marqués.
(La suite se trouve dans ma Généalogie familiale accessible depuis CETTE PAGE ).